Toute récession
est une crise de surproduction. Le capitalisme a dans sa nature un
fonctionnement cyclique qui se décline par la dépression - le tournant vers la
reprise économique - le boom et la prospérité – le krach et le tournant vers la
dépression. C’est un processus qui se répète inlassablement depuis des siècles.
Les raisons de cette cyclicité ainsi que d’autres cycles plus longs qui font
l’objet de débats contradictoires parmi les économistes ne sont pas traitées
ici. Les cycles courts sont nettement définissables tout au long de l’histoire.
Ils durent en moyenne et le plus souvent environ 8 ans avec des écarts
possibles de 5 à 12 ans.
Le mouvement
cyclique se passe soit dans une économie nationale déterminée avec d’autres
dates dans d’autres économies ; il est parfois généralisé dans l’économie
mondiale, soit et le plus souvent généralisé par groupes d’économies
nationales.
La dernière
récession – un peu oubliée d’ailleurs et pourtant c’était elle qui avait incité
le gouvernement luxembourgeois à prendre un départ avec une politique de
contre-réformes rectifiée rapidement par la suite – avait lieu en 2012 et
touchait l’Europe, le Japon et certains pays émergents mais pas les Etats-Unis.
Les USA n’ont pas connu de récession depuis la grande crise financière de
2007-2008, qui avait plus d’un grand krach comme celui de 1929 que d’une
récession « régulière ». Il est de convention de dire qu’une économie
est en récession lorsqu’elle est régressive pendant trois trimestres
consécutifs.
Il est important
de noter que la récession a un effet régulateur sur l’économie, même s’il
s’agit d’une régulation brutale, d’une saignée forte : des centaines de
milliards sont détruits, mais les bulles financières sont éliminées ou
réduites.
Pourquoi cette
interrogation ?
Puisque les
récessions sont des phénomènes inéluctables de l’économie capitaliste pourquoi
se soucier de sa nature ? Le moment exact de son début n’est pas le sujet ici,
il ne s’agit pas de faire des pronostics. Evaluer le degré probable de sa généralisation
serait déjà plus intéressant. Il y a différentes raisons à se poser des
questions sur les conditions spécifiques dans lesquelles évaluera la prochaine
dépression.
1.
D’abord,
les conséquences de la grande crise financière de 2007-2008 n’ont pas disparu. L’augmentation
de la productivité du travail est restée faible, celle de la croissance aussi,
sauf aux Etats Unis. Les profits se sont rétablis, mais sont peu réinvestis et
beaucoup orientés vers la spéculation. Le chômage a baissé sensiblement, en
partie relayé par la précarité, mais les salaires ne décollent pas. Alors que
les bourses jubilent pendant ce 1er semestre 2019, le sentiment
d’insécurité est général. C’est paradoxal. On cite un comte qui se serait exclamé
juste avant la révolution de juillet 1830 lors d’une réception offerte au roi
de Naples : « C’est une fête toute napolitaine. Nous dansons sur un
volcan.» Il n’est cependant pas aujourd’hui question de révolution, mais
éventuellement d’éruption.
Les
dettes accumulées au niveau mondial (dettes publiques, d’entreprises, privées)
atteignent désormais 300% du PIB mondial. La « politique du taux 0 »
de la banque centrale européenne continue alors que les objectifs d’élever
l’inflation à 2% ne sont pas atteints ; aux Etats-Unis l’élévation douce
des taux a été annulée de nouveau. Il n’est pas évident que les objectifs du
« quantitative easing » (QE) poursuivis par les banques centrales
(livrer des crédits presque gratuits aux banques pour les empêcher de se limiter
à la spéculation et au rachat des dettes publiques) pourront continuer encore
longtemps. La Banque centrale européenne a déjà réduit le QE. Il s’agit en fait
de création de monnaie par la planche à billets. Les importants profits
accumulés sous l’effet de la politique néolibérale ne sont pas investis dans
l’économie réelle, mais servent à la spéculation et à l’enrichissement…Certains
pays importants ne sont jamais sortis de la récession comme l’Italie et des
grands pays d’Amérique latine.
2.
Bien
des économistes supposent que l’économie capitaliste - européenne au moins – se
« japonise »- à savoir est entrée dans une phase de « stagnation
séculaire ». J’avais traité la possibilité de la « stagnation
séculaire » dans d’autres articles. Elle n’est pas traitée ici.
3.
On ne
voit pas quelle avancée technologique pourrait inciter à des investissements
massifs. Les innovations de la 3e révolution industrielle
(digitalisation, intelligence artificielle ou électrification des transports et
des voitures) ne sont pas de nature à engager des sommes comparables aux
précédentes révolutions industrielles (l’apparition du chemin de fer,
l’électrification). Un exemple frappant : les nouvelles voitures
électriques sont plus simples de construction que les anciennes ; elles comportent
moins de pièces et devraient être moins chères à moyenne échéance.
4.
Les
marchés des marchandises et services sont de plus en plus déstabilisés par la
guerre douanière déclenchée par l’administration Trump et que se livrent les
grands centres économiques.
5.
On ne
voit pas comment les Etats nationaux pourront encore une fois soutenir les
banques « too big to fail », vu le niveau d’endettement de ces Etats,
dont une partie n’a jamais réussi à résorber les déficits. Il est douteux que
mécanismes de secours installés par l’Union Européenne (Union des Banques,…)
soient assez fournis pour permettre d’éviter l’écroulement possible des grandes
banques.
Cette
liste n’est pas complète. Elle est aussi trop générale. Des doutes sont permis
sur la lourdeur présumée de la récession à venir. Le petite énumération qui
précède révèle cependant les très nombreuses faiblesses de l’économie mondiale
au soir d’une crise probable.
Les 4 grands pôles
Les grands pôles
de l’économie capitaliste d’après-guerre, USA, Europe, Japon on été rejoints
par la Chine, qui sera probablement la 1ère économie mondiale dans
quelques années.
Etats-Unis : La réforme fiscale de Trump en faveur des
entreprises est vivement critiquée par une majorité d’économistes puisqu’elle
intervient à un moment où l’économie étasunienne n’en avait absolument pas
besoin. Elle est probablement motivée pas des considérations aussi bien
clientèlistes qu’électorales. Les superprofits engendrés par la réforme fiscale
ont eu un effet bref d’impulsion à l’économie. Depuis, ils nourrissent la surproduction
de capital rentier. La dette de l’Etat central et de certains Etats explose
mais est pour le moment facilement financée par les fuites de capitaux entre
autre des pays émergents vers les bonds du trésor américain. Est-ce que cela va
durer ? La récession américaine est en retard. Les polémiques entre Trump
et la Fed sont pour le moment sans objet puisque la FED vient de stopper par
précaution les augmentations des taux de base.
Chine : En Chine on ne peut pas parler de
récession dans la mesure où des croissances autour de 6% ne peuvent pas facilement
évoluer vers des chiffres rouges. Une explosion de bulles de surendettement
n’est pas à exclure. L’Etat central est endetté à 5.200 milliards de dollars,
mais s’y ajoutent les ténébreuses dettes des gouvernements locaux qu’on
soupçonne énormes. La réorientation vers le marché intérieur est accouplée à
une orientation à longue vue vers les nouvelles routes commerciales par terre
et par mer, la colonisation en Afrique et l’incrustation dans certains secteurs
de l’économie européenne, notamment les terminaux des destinations commerciales
(ports et aéroports). La « 3e révolution industrielle» en Chine
est à la pointe mondiale (électrification du transport routier, cellules de
batteries, photovoltaïque).
Europe : C’est le pôle qui est le plus concerné par
le questionnement sur « le stagnation séculaire » (après le Japon où
elle est endémique, s’entend). Elle est largement dominée par la santé de
l’économique de l’Allemagne qui est basée sur l’exportation de sa puissante
industrie. Pour protéger les exportations on y freine la consommation
intérieure par la modération des salaires et des retraites minimales suivant le
mot d’ordre « Geiz ist geil !» (sauf concernant la consommation de
grosses cylindrées par les couches moyennes supérieures). 1/3 de la production
industrielle européenne (UE) est allemande. Or des trois exportations majeures
de l’Allemagne, les machines-outils, la chimie et les automobiles, deux
risquent d’être en difficultés : les grosses voitures à cause du
relèvement des frais de douane et la chimie à cause de mauvaises stratégies. Vue
sa position dominante en Europe, l’effet une éventuelle récession en Allemagne
sur l’ensemble de l’UE seraient inévitables. Le ciel s’assombrit sur l’économie
Allemande: recul des exportations de voitures, crise des deux géants de la
chimie BASF et Bayer, déficits records de la Deutsche Bank qui se sépare de son
« industrie de fonds » et de 18.000 emplois.…
Les nominations
nouvelles aux postes-clés de l’Union Européenne n’augurent rien de bon quant à
un changement d’orientation de la politique d’intégration européenne avec un
maintient probable de la primauté de la rigueur budgétaire et les faibles
avancées dans la création de budgets opérationnels pour la commission et la
zone euro.
L’Italie est en
situation de récession jamais résorbée depuis la crise de 2007-2008, raison principale
de l’avancée de l’extrême droite.
Il ne faudrait pas
sous-estimer les avancées dans la stabilisation des systèmes financiers de la
commission Juncker. (100.000 € assurés pour les dépôts ; Union
bancaire ; supervision macro-prudentielle et micro-prudentielle ;
comité européen du risque systémique ;…) Malgré tout les doutes sont
permis quant à leur capacité de maîtriser une crise majeure ce d’autant plus
que les Etats nationaux ne pourront pas réagir comme après 2008.
Japon : L’orientation économique du Japon diffère
largement de celle de ses concurrents. On pourrait dire qu’elle est la plus
néo-keynesienne en liaison avec des spécificités typiquement nationales comme
le super-ministère de l’économie, qui intervient fortement et la captation de
l’épargne intérieure par les bons du trésor qui couvrent une dette étatique
d’environ 240% du PIB, chose unique dans le monde.
Le Japon accuse
une croissance faible et une inflation quasi inexistante. La productivité du
travail et de loin la plus mauvaise des pays industrialisés ce qui peut sembler
surprenant pour la 3e économie nationale mondiale (nettement devant
l’Allemagne). C’est pourtant le pays où la robotisation est la plus avancée. Le
gros problème de l’économie japonaise est probablement la mauvaise démographie
et la quasi inexistence de l’immigration.
***
Ces notes sur la
récession présumée à venir se limitent à la logique interne du système
économique qui domine toute l’humanité. Ce système ne peut vivre qu’avec la
course à la croissance. La limitation objective des ressources naturelles,
l’état alarmant du climat et de l’extinction des espèces va à l’encontre de la
dynamique intrinsèque du capitalisme. La question de la croissance impossible
sera et est déjà la question centrale. En attendant, le système dominant peut
encore causer bien du mal à l’humanité, même jusqu’à le barbarie. Pour éviter
cela, il est entre autre nécessaire d’analyser la logique interne du système
toujours dominant.
15.7.2019
* Voir aussi l'article <<La crise qui reste est celle qui vient>>
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