La parution presque simultanée des études prévisionnelles de l’OCDE et du Statec concernant les perspectives économiques du Luxembourg me donnent l’occasion d’en commenter certains aspects et de formuler certaines positions personnelles.
1. V, U ou swoosh ?
Les prévisions pour le redémarrage sont difficiles à faire et certaines qu’on peut lire relèvent de la boule de cristal resp. sont faites positivement pour encourager la confiance des marchés. Il ne faudrait pas beaucoup prendre les marchés boursiers comme aune de la situation vues les spéculations qu’ils renferment et qui ne reflètent pas la véritable situation de l’économie réelle. Je constate récemment une approche qui vise une projection sur l’année 2022 plutôt que sur l’évolution à court terme. Ce n’est cependant pas l’approche du Statec qui intitule sa note de conjoncture 1/2020 « la crise de la quarantaine », comme si elle se limitait aux effets passager du confinement.
La crise économique qui résulte de la crise sanitaire est un véritable tremblement de terre. Un retour vers le « business as usual » est dans de multiples secteurs une illusion totale. On n’a qu’à prendre les secteurs de l’aviation, du tourisme, de la gastronomie, du commerce de détail comme exemples, qui sont confrontés à des changements structurels tels que les changements comportementaux plus ou moins durables dans la société ou des changements de technologie boostés lors de la crise sanitaire. Dans l’industrie des biens solides, il faut reconstruire les chaînes de valeur. Les mesures de soutien à la demande (chômage partiel en Europe, hélicoptère aux USA) n’auront leur effet que jusque fin 2020. Le creusement des inégalités n’augure rien de bon pour la force d’achat du tiers inférieur des populations des pays très développés en 2021. Et puis, on ne connaît pas encore le niveau d’endettement des entreprises et des ménages au début de l’année 2021…
Redémarrage en V ou en U ? L’idée du swoosh, logo de Nike, privilégiée par l’économiste Michel Husson – à savoir une reprise très lente s’étendant sur 3 années au moins – me semble la plus crédible.
2. L’emploi
« On dit » que le télétravail, la robotisation, le commerce en ligne et l’intelligence artificielle sont des solutions pour augmenter le productivité, condition sine qua non pour rapatrier des activités parties en Asie. Patrick Artus pense que cela ne mènera pas (à moyen terme sans doute) à une augmentation sensible du chômage. Je ne comprends pas cette conclusion. Une fois les mesures de crise concernant le chômage partiel épuisées, il restera un chômage important résultant des faillites d’entreprise et des réductions de personnel déjà annoncées. Sans une réduction du travail hebdomadaire très importante (32 h) assorti avec la création d’emplois nouveaux orientés vers une toute autre utilisation des ressources de la terre, des technologies durables et l’évitement de l’hécatombe climatique on s’incrusterait dans une longue période de stagnation assortie de solutions politiques fascisantes. Il faudrait au contraire mettre les alternatives écosocialistes à l’ordre du jour. C’est maintenant le moment.
3. Les prévisions concernant le Luxembourg
Les projections de l’OCDE pour les différents pays sont divisées en « single-hit scenario » et « double-hit ». Si nous partons de l’hypothèse sans réplique importante (ce n’est pas évident dans les pays à gouvernements « populistes » Brésil, USA, Russie, même peut-être UK), l’OECD prévoit un swoosh un peu plus court que chez NIKE ! A partir d’un PIB à 88% en fin du 1er trimestre 2020 (base 100 en T3 2019), on arriverait au Luxembourg à 98 % fin T3 2021. Pour le taux de chômage, il culminerait à 8% en T3 2020.
La demande privée baisserait de 7,8% en 2020 et augmenterait de nouveau de 7,4% en 2021. Les chiffres pour la formation de capital fixe (les investissements) pour les deux années : -12.3% et +7,5%. On suppose donc un retard dans les investissements de 5% en 2021. Les exportations : -8,6 en 2020 et +3,1% en 2021, donc un retard de 5,5%. La dette gouvernementale (Etat central) 39,5% du PIB en 2021 ; selon les critères de Maastricht (Etat central + sécurité sociale + communes) : 31,5%.
Ces prévisions son essentiellement précaires comme toutes les prévisions dans cette crise atypique.
Elles ont l’avantage de se projeter un peu plus loin que celles du Statec.
Suivant le Statec, la croissance résorberait la récession dès 2021. Sa projection serait donc un « U » ou même un « V » ou quelque chose entre les deux. Elle diverge considérablement avec celle de l’OECD. Les écarts le plus expressifs entre les prévisions de l’OECD et le Statec résident dans les perspectives des investissements et les exportations et qui tournent autour de 5 pourcent. Les projections concernant l’augmentation de la dette publique sont de moindre importance pour mesurer la profondeur de la crise économique, le niveau d’endettement du Luxembourg étant sommes toutes assez réduit.
4. L’une ou l’autre question de méthode
Quoique disent certains, nous ne sommes pas en présence d’une crise de surproduction classique puisqu’il y a eu pas mal de pénurie voire d’absence de production. Ce n’est pas une crise de surendettement comme en 2007-2008, mais du surendettement il faudra en reparler; ce n’est pas une crise bancaire. Elle ressemble un peu aux crises consécutives aux guerres puisqu’il y a une surcapacité et de surcapitalisation dans certains secteurs, comme l’aéronautique ; mais il n’y pas de destructions massives et pas de boom de reconstruction à attendre. Dans un sens étroit, ce serait la crise de vulnérabilité du stade néolibéral du capitalisme. C’est une ironie de l’histoire : le triomphe du néolibéralisme dans presque l’ensemble du globe a conduit à son crépuscule.
Dans un sens plus large, elle est surtout la crise de la croissance infinie dans un monde fini. Elle est certainement liée à des phénomènes naturels, sanitaires, écologiques. Certaines caractéristiques sont singulières et traduisent des situations jamais vécues et pour lesquelles il faut penser autrement puisqu’il n’y a pas de modèle à invoquer. Il y a des chances réelles qu’une partie importante de l’humanité ne veuille plus vivre comme avant, que des paradigmes changent assez radicalement comme la douce folie du consumérisme des 2 tiers les plus aisées de nos populations.
14.6.2020
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